Pourquoi contenir le développement de la forêt alluviale de la Loire moyenne ?

Source : Gestion durable de la forêt alluviale ligérienne pour limiter l’aléa de rupture de digue

La forêt alluviale est un écosystème qu’il convient de préserver pour de nombreuses raisons : elle est un réservoir de biodiversité, un lieu de reproduction et d’alimentation pour de nombreuses espèces et elle constitue un espace tampon entre la rivière et les zones cultivées ou urbanisées. Pourtant, les gestionnaires de la Loire moyenne ont fait le choix de maîtriser son développement.

1. Contexte ligérien

Bien que considérée parfois comme “l’un des derniers fleuves sauvages”, la Loire, en particulier dans sa partie médiane, a été aménagée depuis plusieurs siècles.

Figure 1. La Loire moyenne (limites géographiques et paysage morphologique).

Ainsi, le tronçon de la Loire moyenne, qui s’étend de sa confluence avec l’Allier à sa confluence avec la Maine, est caractérisé par un endiguement quasi continu sur tout ce linéaire (Figure 1). Hors du lit endigué, les levées ligériennes délimitent une série de vals inondables qui sont aujourd’hui occupés par plus de 300 000 habitants et de très nombreuses entreprises.
Les récentes études de dangers des levées de la Loire moyenne ont démontré que les vies et les biens de ces ligériens pourraient, lors d’une forte crue, être menacés par la rupture d’une digue (Maurin et al., 2013a).

2. Évolution du lit de la Loire moyenne de 1900 à nos jours

Certains aménagements ou activités humaines et, en particulier, les extractions massives de granulats réalisées dans le lit mineur de la Loire dans la seconde moitié du 20ᵉ siècle jusqu’au début des années 90, ont contribué à perturber fortement le fonctionnement de cet hydrosystème (Latapie, 2011).
Une des principales conséquences observées a été l’incision rapide du lit de la Loire moyenne d’un ou deux mètres, selon les secteurs (Gasowski, 1994) (Figure 2).

Figure 2. Enfoncement de la ligne d’eau d’étiage de la Loire moyenne entre 1900 et 1988 (Gasowski, 1994).

Cette évolution a provoqué une exondation plus fréquente et plus longue des bancs alluviaux et chenaux secondaires. La végétation a ainsi pu s’y développer ou s’y densifier, ralentissant le courant. Cette diminution des vitesses d’écoulement a favorisé le dépôt des sédiments (“effet de peigne” de la végétation), ce qui a encore amplifié le processus. Aujourd’hui, le fleuve se transforme, passant d’un cours d’eau à chenaux multiples à une rivière à chenal unique (Figure 3) ; on parle de changement de style fluvial.

Figure 3. Changement de style fluvial de La Loire moyenne (École nationale supérieure du paysage, 2016).

Ce phénomène, combiné à l’arrêt de l’entretien des berges et du lit pour la navigation, à l’abandon des pratiques agropastorales et au “tarissement” des événements hydrologiques exceptionnels, est à l’origine d’un développement très important de la forêt alluviale ligérienne. Cette dynamique a été quantifiée sur un tronçon de la Loire de 20 kilomètres situé entre La Charité-sur-Loire et Tracy-sur-Loire (tronçon situé entre Nevers et Orléans, Figure 1) : sur ce secteur, l’extension spatiale de la forêt alluviale s’est nettement accélérée entre 1960 et 1995 (Grivel, 2008).
Les extractions massives de granulats dans le lit mineur de la Loire sont donc une perturbation du système fluvial qui a généré une série d’ajustements successifs et interdépendants. Ainsi, malgré l’arrêt des extractions en lit mineur, cette évolution se poursuit aujourd’hui sur certains tronçons de la Loire moyenne.

Figure 4. Évolution du lit de la Loire entre 1995 et 2010 sur la commune de Fondettes.

La Figure 4 présente l’évolution du lit de la Loire sur la commune de Fondettes (en aval de Tours, 37) où la bande active s’est rétractée d’environ 50 % de 1995 à 2010 (Braud, 2012).

3. Impact du développement de la forêt alluviale sur l’aléa de rupture de digue

Les conséquences hydrauliques liées au développement important de la forêt alluviale au sein du lit de rivières de plaines, peuvent être résumées ainsi : « Les capacités d’écoulement en crue sont diminuées, du fait de la réduction de la section mouillée par les îles et la végétation, et du fait de l’augmentation de la rugosité du lit par la végétation. La crue atteint donc un niveau plus élevé en amont » (Allain Jegou, 2002).
Les études de dangers des levées de la Loire moyenne ont montré que différents scénarios de défaillance des systèmes d’endiguement pouvaient conduire à la rupture d’une digue (rupture par érosion externe, rupture par soulèvement hydraulique, etc.) [Durand et al., 2016]. L’augmentation de l’aléa de rupture de certains de ces scénarios est très fortement corrélée à la hauteur d’eau en Loire (c’est le cas, par exemple, des scénarios de rupture par surverse ou par érosion interne).
Ainsi, un développement de forte ampleur de la forêt alluviale au sein du lit moyen de la Loire peut, dans certaines configurations, modifier de façon non négligeable le comportement hydraulique du cours d’eau en crue au droit d’un système d’endiguement et, par conséquent, augmenter l’aléa de rupture de la levée.

4. Des modalités d’intervention qui contribuent à restaurer la dynamique fluviale

Les interventions mises en œuvre consistent principalement à restaurer d’anciens chenaux secondaires. Leur ré-ouverture permet :
• de maintenir un style fluvial à chenaux multiples et d’augmenter les surfaces de milieux ouverts, en générant des faciès d’écoulement variés,
• de limiter le piégeage des sédiments dans ces annexes fluviales et, par conséquent, de freiner l’incision du chenal principal.
Ainsi, même si le choix des sites à restaurer est basé sur des critères hydrauliques, les interventions réalisées contribuent à compenser la réduction d’intensité de la dynamique fluviale de la Loire moyenne.
En effet, comme devraient le faire les fortes crues, ces perturbations anthropiques du milieu ralentissent l’évolution des boisements vers des stades matures, permettant à des espèces pionnières de se maintenir.
Pour autant, cette affirmation ne justifie pas la programmation d’actions systématiques et de trop grandes ampleurs. Les opérations à prévoir doivent être adaptées au contexte local et prendre en compte les recommandations issues de la concertation préalable et de l’évaluation d’incidences.

Figure 5. Exemple d’opération de restauration à Ouvrouer-les-Champs (45).

Références bibliographiques

Allain Jegou C. (2002). Relations végétation-écoulement-transport solide dans les lits des rivières étude de l’Isère dans le Grésivaudan.
Braud S. (2012). Outils d’aide à la gestion du lit de la Loire moyenne.
Braud S. et al.(2021) Gestion durable de la forêt alluviale ligérienne pour limiter l’aléa de rupture de digue, LHB, 107:1, 1913008
Durand E., Maurin J., Bridoux B., & Boulay A. (2016). CARDigues : An integrated tool for levee system diagnosis and assessment. International Conference on Scour ande Erosion, Oxford.
Ecole nationale supérieure du paysage (2016). Pour une stratégie opérationnelle de gestion intégrée du lit endigué de la Loire en Indre-et-Loire.
Gasowski Z. (1994). L’enfoncement du lit de la Loire. Revue de Géographie de Lyon, 69, 41–45.
Grivel S. (2008). La Loire des îles, du Bec d’Allier à Gien : rythmes d’évolution et enjeux de gestion.
Latapie A. (2011). Modélisation de l’évolution morphologique d’un lit alluvial : application à la Loire moyenne.
Maurin J. et al.(2013). Etudes de dangers des digues de classe A de la Loire et de ses affluents, retour d’expérience. Digues maritimes et fluviales de protection contre les submersions, 2ᵉ colloque national, digues 2013, 158–163.

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